Lors de débats animés avec Loïc-Cyril ces derniers temps, nous avons abordé le sujet suivant : pourquoi les gens que nous admirons sont-ils si enviables et donnent l’impression d’avoir réussi à trouver leur place dans notre monde, alors que nous, qui avons si longtemps rêvé et attendu une vie alternative, nous nous contentons des joies d’une vie commune, banale, politiquement correcte et bien rangée en apparence?
Plusieurs pistes peuvent être explorées. Les premières sont vite abordées; Manque de talent ou de charisme, déficit de chance ou opportunités non provoquées. Il s’agit de points tellement subjectifs qu’il me paraît inutile d’en débattre. Le champ de nos goûts communs est très restreint et on finirait par s’entre-tuer parce que je hais ce que vous adorez par dessus tout, et bien évidemment vous détestez ce que je vénère le plus au monde. C’est ainsi que nous sommes faits. Quant à ce qui dépend directement de nos caractères et notre personnalité , je ne pense pas que nous ayons pu avancer jusqu’où nous sommes sans disposer d’un minimum des qualités mentionnées. Au pire, la prestance se travaille et la volonté naît de la passion. Cette dernière ne manque pas chez nous.
Où devons-nous chercher alors? Un embryon de réponse s’est profilé suite à la lecture d’un article sur la résilience de la nature. On y découvrait qu’après une tempête ou un incendie, une forêt repousse plus riche en espèces d’arbres, plus résistante aux aléas climatiques et diverses agressions. La forêt devient plus belle. Plus forte.
Le rapport avec notre situation et celle de bon nombre de nos concitoyens? Notre éducation. C’est la première chose qui me vient à l’esprit. Cette éducation que nous offre notre beau pays et qui nous guide vers notre avenir.
Nous sommes une forêt artificielle. Une forêt de sapins de Noël tous identiques, taille des aiguilles conforme et envergure de rigueur. On nous protège de l’extérieur, on aseptise notre environnement. Nous sommes faibles mais résistants grâce à nos connaissances en chimie et finissons tous dans de beaux bureaux, décorés de diplômes multicolores et de guirlandes d’honneurs. Travail, famille, patrie. Telles sont nos valeurs et quelle fierté d’y adhérer!
Vous voudriez prendre le ciel sur la tête comme le craignaient nos ancêtres que ceux de votre entourage s’empresserait de vous en dissuader au nom de la sacro-sainte sécurité! Pourtant, expérimenter par soi-même et être victime de véritables erreurs nous renforcerait. Aujourd’hui, nous ne savons pas oser, mais craindre. Et nous avons peur. Parce qu’au lieu de considérer l’échec comme une dalle solide sur laquelle on peut rebondir, on nous inculque que l’échec constitue la fin de tout espoir, un véritable déshonneur. Partout on nous le répète; à l’école, au travail, à la maison… on finit même par entendre les murs nous murmurer des les longer!
Question : vaut-il mieux parcourir sa vie en se disant qu’avec un peu de plus de chance, voire de courage, on aurait effleuré nos rêves du bout des doigts, ou est-il préférable de tenter le tout pour le tout au risque d’échouer totalement mais avoir au fond de soi la certitude d’avoir joué toutes les cartes qu’on avait entre les mains?
J’accuse notre éducation peut-être un peu vite. Il n’y a pas de véritable responsable. C’est une civilisation toute entière qu’il faudrait remettre en question… mais que placerions-nous à la place? Et franchement, qui serait prêt à troquer assurance vie, caisse maladie et pensions de retraite pour une once de vie piquante? Moi?
Je ne sais pas…
Pour continuer la discussion qui a déclenché chez toi l’écriture de cet article qui est un bon résumé de ce que nous nous sommes dit, je voudrais rappeler ce que c’est, ce poids qui nous plaque au sol quand on souhaiterait jouer les Icare…
Se brûler les ailes ? Ça peut arriver. Mais on aura volé, au moins et on n’en sera pas peu fier. Je vais me lancer dans quelques temps. Je vais essayer de m’installer comme luthier en guitares. Je n’ai pas assez d’expérience derrière moi, pas assez bouffé de copeaux pour me lancer. ll falloir que je me prépare en redoublant de travail pour me perfectionner, pour offrir des instruments de grande qualité.
Alors oui, le monde est partagé entre les gens qui m’encouragent, ceux qui me poussent littéralement et ceux me freinent des quatre fers. D’un côté, jette-toi dans le vide, tu seras pas le premier, ni le dernier, de l’autre, surtout, ne t’éloigne pas du chemin !
A ce moment, c’est terrible à dire, mais c’est la solitude qui m’envahit. Je prends les encouragements avec moi, mais c’est moi qui saute. Seul. Les autres me regarderont depuis le bord, bien au chaud. Ils seront spectateurs, continueront à me soutenir ou à me raisonner.
Tout ceci pour dire qu’il y a un moment ou choisir un destin un tant soit peu décalé, ce n’est ni simple, ni anodin. Est-ce du courage ? De l’inconscience ? Sans doute cette dernière vient-elle au secours du premier… Ce choix, il est certain qu’il ne faut pas le faire à la légère, mais il faut l’assumer.
Si on choisit de faire le grand saut, il ne faut pas y aller à moitié, pas de demi-mesure possible, si on décide de ne pas tenter de sortir du rang, de sa vie formatée, il faudra être capable de se regarder toute sa vie devant un mirroir. Il y aura le cafard, les regrets, les « si j’avais eu les couilles de le faire… ».
Nous sommes la société des hommes poltrons. C’est la peur qui nous tient. Nous craignons tous le rejet du groupe, de la société. Or la société, c’est nous. Nous sommes les pavés auto-bloquants d’une allée de garage. Aucun ne peut sortir du range tellement il est bien pris en tenaille par les autres.
Les autres. C’est nous, ces autres. Nous défendons tous plus ou moins consciemment un système dans lequel nous ne nous reconnaissons pas. Tout ceci car on nous serine à longueur de journée qu’il n’y à pas d’autre alternative.
TINA (There Is No Alternative). On nous oppose toujours bêtement les dictatures communistes. Combien de temps va-t-on encore nous faire cette affront ?
Nous avons tous des rêves, mais nous sommes tous prêts à écraser ceux qui tentent de les réaliser car ils nous font envie, ils nous renvoient l’image de notre soumission. Alors nous ne pouvons que craindre ceux qui choisissent une vie « alternative ».
Quand ils échouent, la meute que nous sommes se précipite pour en finir avec ces ratés qui nous narguaient.
Nous vivons dans une société où chacun s’évertue à défendre tout ce contre quoi il aimerait se battre.
Bienvenue dans la dictocratie.
Tiens, je ne me rappelle pas avoir lu ce post sur ton précédent blog. C’est fou comme la réponse de LCC éveille des échos en moi, par les images qu’il utilise. Etre englué, cloué au sol, ne pas pouvoir décoller. Voici un petit prosème que j’ai écrit il y a quelques mois déjà:
« Sur la branche aux envols nous étions deux. A étendre nos ailes, à rêver d’impulsion. Nous nous racontions, ce que nous ferions, une fois en l’air, une fois enfin capables de voler librement. Ensemble nous avons déployé nos ailes, et tu as décollé. Et moi je n’ai pas su, je restais cramponnée. Mes pattes serraient, crispées, et je me détestais. Tu ne t’es pas retournée. Je t’ai regardée voler et mon cœur volait avec toi, mais lui seulement, et pas le reste, pour un moment. Quand tu as disparu, je n’avais plus de plumes. «
Une petite question: et si c’était l’échec à réaliser nos rêves qui nous renforçait ? Après tout, si c’est ça qui compte vraiment, c’est là vraiment qu’est l’échec, le vrai, celui sur lequel on va devoir rebondir. J’ai maintenant confiance que mon envol ne se fera pas par une brusque transition, une décision soudaine de changer de vie, mais par un chemin plus long et plus modéré. Speriamo.
Ton texte fait remonter à la surface tant de souvenirs!
Pour moi, cette branche, c’est une chambre au bureau jaune, enfumée d’encens jusqu’à trois heures du matin… l’envol du premier oiseaux de cette cage a pris dix bonnes années. Le second est encore au sol. Sautille de temps en temps, mais ne bondit jamais très loin.
Avec le temps, on apprend à apprécier ce qui est accessible. On cueille le jour comme disent les poètes et notre richesse, on la cherche ailleurs… L’envol passe peut-être par la sagesse. Mais peut-être que c’est simplement le moyen de se faire une raison.
Hé, je ne parle pas de se faire une raison, mais de déployer une autre stratégie. Se connaître assez pour entrevoir ce qui va marcher, pour nous (forcément pas exactement pareil que ce qui marche pour les autres).
Pour ma part, je parlais de se faire une raison par rapport à ce que nous aurions voulu qui marche pour nous… pas ce qui a marché pour les autres! Et ce nouveau chemin pour nous même n’est pas forcément moins bien. Il est souvent pris avec plus de recul et le recul, c’est comme en montagne… ca rend les choses plus belles!