Devant l’obligation de faire le plein de provisions pour me nourrir cette semaine, je me suis rendu chez Carrefour, une charmante enseigne qui sait accueillir ses clients. A peine ai-je franchi les portiques automatiques que je suis assailli de boites de céréales et bouteilles de Cola en tous genres. « Grande Action sur tous vos produits favoris ». Quelle nouvelle ! Je ne consomme rien de tous ces produits préférés… mais c’est si persuasif que je doute presque. Mayonnaise en tube par lots de 4 pour le prix de deux, Sauce Maggi à prix magique, Barilla en voici en voilà, t’en prends 10 boites et t’en payes 8 ! Le vertige m’emporte et je suis presque tenté… heureusement ma raison reprend rapidement le pas sur les montagnes en cascades et je file tout droit au rayon fruits et légumes… tiens, du raisin ! En février… Afrique du Sud. Je me disais aussi. Tomates du Maroc, haricots vers de Dubaï, concombres d’Espagne. Mais où sont les légumes de saison, cultivés chez nous, choux, poireaux et autres bocaux de nos grands-mères préparés pendant l’automne en prévision de la saison froide ! N’y a-t-il pas écrit « Développement durable » sur les sacs Carrefour ? Mais bon, qu’est-ce donc que ce développement quoi déjà ? Il y a des consommateurs alors pourquoi les priver !
Ça me rappelle un événement notable observé chez Migros cette fois : la foire aux fringues. Encore une montagne. Cette fois de vêtements plus ou moins bien triés. Et l’homme au micro d’annoncer : jusqu’à 17H00, vente au sac ! Incrédule et inquiet par ce que j’ose imaginer, j’approche du lieu du crime pour observer ce qui se passe… et le pire se déroule bien là, devant mes yeux. Une nuée de gens s’agglutinent sur les 30 m2 qui hébergent les centaines de vêtements et de chaussures. Chacun dispose d’un drôle d’appendice au bras gauche (une sorte de sac en plastique distribué par l’homme au micro) et de la main droite le remplit le plus vite possible (avant le voisin surtout) avec tout ce qui se trouve sur son passage. Des pantalons passent de main en main. Les chaussures volent par dessus les portiques. Des chemises se déplient et s’affalent dans l’un ou l’autre des sacs. Un vent fou souffle dans la Migros. Tout le monde s’empare de ce qui s’approche trop près, sans essayer. Ni comparer. Ni même avoir le moindre besoin. Les sacs débordent, les gens passent à la caisse, sont priés de remplir un autre sac avec les surplus qui tombent du premier, acceptent et payent, sans broncher. 17H01, action terminée, il faut payer le prix « normal ». Alors, tous les retardataires abandonnent leur sac dans un filet spécialement prévu pour que les déçus du chrono puisse se délester… comme pour dire aux suivants : attention, on ne rigole pas. La prochaine fois, ruez vous davantage!
Il faut le voir pour le croire. Parfois, il m’arrive d’avoir honte d’être un être humain…
Hé oui, l’homme a perdu sa fièreté. Quoi que. Cette dernière s’est déplacée pour mieux masquer la honte. C’est tellement plus confortable comme ça.
A Martigues, pas loin de Marseille, en 85-86, il y a eu une semaine de neige. Catastrophe ! Bagarres dans les magasins pour la dernière paire de bottes où chacun part à la caisse avec un seul pied pour être sûr que l’autre ne puisse pas en profiter à sa place. Et les pneus neige jusqu’en mai pour une semaine de neige à noël. L’homme a su transformer un don du ciel en cauchemard.
Soyons fiers, oui, fiers de nous, hommes, race supérieure à toute autre, supérieure à l’infinie complexité de la nature… Quelle suffisance !
Ah oui, je n’ose pas imaginer les ravages d’une vente de fringues au sac ici en Italie… Déjà que c’est tout le temps les soldes…
Je sors d’un temple de la consommation ce soir. Les italiens aiment le protocole parfois, comme par exemple dans les immenses supermarchés mais aussi chez IKEA. Ainsi, ce soir, je suis entrée à l’Esselunga du Sud de Milan… Après m’être trompée de sens pour trouver l’entrée et avoir du faire marche arrière sur des dizaines de caisses, je trouve une entrée. Mais c’était pas celle des fruits et légumes, qui sont un peu à part. J’ai donc du avancer à contre-courant entre les caddies sur-remplis le long du parcours « achats » créé spécialement pour nous, petits consommateurs, histoire de s’assurer qu’on n’a pas oublié de passer devant un rayon qui aurait potentiellement pu attiser notre convoitise.
Mais bon, c’est pas si grave, puisque ce soir il y a le voisin du troisième qui joue de l’accordéon.