Je me suis réveillé dans un drôle d’endroit. Très coloré. A gauche, un cube jaune, en haut un cercle rouge et en bas, un tore bleu. A droite, rien, le vide. Un chemin infini. Un chemin sans sol, sans plafond. Rien. En y regardant de plus près, j’ai repéré une petite fente dans le cube jaune alors j’y suis entré. C’était comme si je pénétrais dans une immense cathédrale. D’extérieur le cube avait une taille humaine. A peine ma tête passée, les dimensions se sont démultipliées et aujourd’hui je ne vois plus les frontières…
Une immense cathédrale. Vide au départ. Qui a grossi. Qui a rejoint l’infini. Qui s’est remplie. Progressivement jusqu’à ressembler à … c’est très étrange. Un monde différent. Un monde qui me semble familier. Un monde que je connais bien… Mais… Ca y est, je me souviens. Le plus simple, c’est que je reprenne les choses depuis le début.
J’habite une petite rue parisienne. Une de ces petites rues charmantes qu’on ne se lasse pas de parcourir, des murs couverts de lierres et des boiseries peintes de toutes les couleurs. Des odeurs de gâteaux et l’imaginaire fait le reste. Dans chaque maisonnette un monde simple, beau, un idéal, des gens heureux. Et chez moi. Des lumières tamisées, un pupitre, quelques toiles et un établi sur lequel sont rangées mes tubes de peintures. Ordonnées par teintes. Voilà déjà dix ans que je me suis installé ici. Je vis de peinture. Je survis. Je reproduis un monde intérieur, à la recherche du beau. De l’esthétique. Et chaque fois qu’une toile est finie, de drôles mais agréables sensations. Une forte attirance mais rien d’irrésistible. Un détail qui dérange. Ce n’est pas le bon endroit. Ce n’est pas là. Pas la bonne tentative. Il faut recommencer. C’est pour ça qu’un peintre peint des dizaines de toiles, qui se ressemblent, qui diffèrent peu ou beaucoup, qui n’ont rien à voir. Mais je ne l’ai compris que maintenant.
Cela faisait environ deux mois que je consacrais à cette toile. Formes et couleurs basiques et pourtant, la minutie me dévorait et je me suis laisser envahir. Des centaines d’heures pour un coup de pinceaux, des milliers de minutes à contempler un trait pour en saisir toute la portée. Des journées à anticiper le suivant pour trouver sa juste place, sa taille parfaite. Détail, précision, couleur et formes, rien. Non, je n’ai rien laissé échapper sans savoir pourquoi. Et je l’ai fini, je l’ai signé hier. Satisfait. Heureux. Comme soulagé. Alors, comme chaque soir, j’ai mangé. Puis je suis parti boire un amer chez le hongrois, un café à deux pas de là, et suis rentré ivre de bonheur et de bière pour me coucher. Et il était là, devant moi ou dans ma tête je sais plus très bien. Trois formes simples, une en bas, une en haut, une à gauche et rien à droite.
Je me suis réveillé dans ce drôle d’endroit. Très coloré. A gauche, un cube jaune, en haut un cercle rouge et en bas, un tore bleu. A droite, rien, le vide. Un chemin infini. Un chemin sans sol, sans plafond. Rien. En y regardant de plus près…
C’était comme si je pénétrais dans une immense cathédrale. Comme happé par un tourbillon. Atterrissage brutal dans une pièce vide. Comme une gigantesque cathédrale. En expansion. Je n’en vois plus les limites. Et un monde s’est construit. Du monde est venu me voir. Des gens. Beaucoup de gens. J’ai été applaudi de battements d’ailes. Je croyais rêver. Des gens étranges, très grands, chacun de couleur différente, et un langage plus proche d’un chant que de nos sons gutturaux. Ils m’ont emmené chez moi… oui, chez moi. C’est ce qu’ils m’ont dit. Je les comprends… Et j’ai regardé dans la glace. Moi, je suis violet teinté de taches vertes brillantes. Etrange. Mais j’ai compris. Compris ce que je cherchais, cette perfection, ce monde intérieur, cette quantité de toiles qui se ressemblent, diffèrent de peu ou beaucoup.
Nous, peintres, poètes, musiciens, sculpteurs, chanteurs, nous sommes sur Terre comme des enfants laissés sur des aires d’autoroutes. Par hasard. Et on cherche à partir. Mais pas de stop possible. Dans notre monde, les voies sont des passages sur des toiles, tout est dessiné, chanté, sculpté et nous glissons d’un endroit à l’autre en le réalisant, ce trajet, ce transport, selon notre goût, en dessinant, en sculptant, en chantant. Mais pour partir de la Terre, pour retourner sur notre planète, nous devons trouver le chemin hasardeux qui nous permettra de rentrer. Des dizaines de portes de sorties. La Terre, nous y sommes arrivés, un hasard. Une seule pour rentrer. Retrouver ce monde que nous avons tant rêvé à travers nos œuvres.
Il doit ainsi exister dans l’univers de nombreux îlots de gens de chez nous, perdus. Des planètes inconnues. Des chemins d’exils et tant d’autres passages de fortunes.
J’irais bien refaire un tour.
Ce que je ne comprends pas en revanche, c’est pourquoi j’ai oublié tout ça quand j’étais sur Terre…
Les humains doivent y être pour quelque chose dans cet oubli…
Nicolas QUENTIN
Paris, 20 Octobre 2003