Cette journée est d’une saveur particulière, et dès mon réveil pourtant matinal, je me suis senti d’une humeur joviale. Sans effort, je prends un recul qui me soulage et la distance qui désormais me sépare de mon quotidien me rend paradoxalement plus attentif à ce qui s’y passe.

Ainsi, il est intéressant de voir, dans le bus, les cadres d’ordinaire si intimidants, aujourd’hui accrochés à leur mobile et jouant nerveusement ici à Space Invaders, là au solitaire, jurant de ne pas avoir un instant libre au cours de la journée.

Il est également amusant d’observer les victimes des gratuits – ces quotidiens médiocres plus proches de la presse à scandal que du média d’information – scotchés autant de fois vingt minutes que de numéros à disposition et insensibles au fait de lire maintes fois les mêmes nouvelles.

Et cette course effreinée aux sièges libres, aux transports qui n’attendent pas, à celui qui aura le dernier croissant laissé seul au milieu du présentoir. L’entassement sous les abri-bus pour éviter la pluie et le vent d’automne. Le flot des âmes grises qui se déverse dans les usines. La mauvaise humeur des ouvriers qui s’échappe en volutes de fumée des hautes cheminées. Les arbres sombres du bord des routes jaloux de leurs frères de couleur perchés en face sur le flanc de la montagne…

Je me vois moi, au cœur de ce petit monde auquel chaque jour je contribue par nécessité, aujourd’hui présent tel l’étranger perdu en terre inconnue, un vagabon errant l’esprit libre, Korcia dans les oreilles et Zadig entre les mains.

Aujourd’hui, c’est la veille des vacances.